Le manager et l’innovation participative

Une histoire …

Cela fait 9 mois que le directeur de l’innovation a lancé son concours interne afin de collecter les meilleures idées avec à la clé un voyage à Marrakech remis en main propre par le PDG. Pourtant les centaines de propositions sont principalement cosmétiques, trop générales ou irréalistes. « Mais que manque-t-il donc aux différentes équipes pour être vraiment innovantes ?»

C’est avec ces questions en tête qu’il déjeune avec un ami dans le domaine du cinéma. Le déclic vint au détour d’une phrase simple «tu demandes à tes collaborateurs d’innover pour avoir un prix, personne ne fait un film pour avoir une récompense, on le fait parce qu’on l’a en soi, que l’on sait réunir une équipe et que l’on veut raconter une histoire au public… ».

De retour à son bureau il écrivit trois principes inspirés par cette rencontre :

  • Pour entrer en action, chacun a besoin de comprendre les bénéfices pour lui, pour son équipe et pour ses clients
  • Pour construire une histoire crédible et compréhensible par tous il faut s’appuyer sur les hommes de terrain
  • Pour construire sur la durée il faut impliquer une équipe multiculturelle et multi-niveaux

Le germe de « l’innovation participative » est semé.

Qu’est ce que l’innovation participative ?

L’innovation participative, ce n’est pas nouveau. Depuis 10 ans, nous avons des séminaires, des présentations, des experts venus du bout du monde et bien entendu des consultants qui se sont jetés sur le sujet sans pour autant arriver à en faire un modèle déployable partout. Alors qu’est ce qui peut donc faire la différence entre les sociétés qui y arrivent et les autres ? Pourquoi les groupes innovations, ou les séminaires de spécialistes ne fonctionnent pas sur la durée ?

Repartons de la définition :

« L’innovation participative est une démarche de management structurée qui vise à stimuler et à favoriser l’émission, la mise en œuvre et la diffusion d’idées par l’ensemble du personnel en vue de créer de la valeur ajoutée et de faire progresser l’organisation. »[1]

Il s’agit donc de mettre en œuvre les pratiques managériales qui permettent d’utiliser au mieux un outil dont toutes les organisations sont équipées : l’Homme. Voilà donc le défaut principal sur lequel tant de sociétés buttent. Des pratiques managériales et l’Homme.

L’innovation participative : ça marche!

Plutôt que de généraliser sur les mérites de l’innovation participative regardons quelques résultats obtenus par ce mode de management[2] :

  • Société du groupe La Poste, un entrepôt très automatisé. Un nouveau client e-commerce hors standards est accueilli. La performance n’est pas au rendez-vous et la saison de Noël approche. Les équipes méthodes sont sur le coup et proposent une solution coûtant 4M€ de modification des chaînes pour 5% de gain. Un projet collaboratif alternatif est tenté avec les équipes terrain. Résultat : 20k€ d’investissement pour 17% de gain en « pensant autrement ».
  • L’entreprise Delphi, premier fabricant d’équipements automobiles dans le monde, a fait une économie de plus de 3,5 millions d’euros… grâce à un petit morceau d’acier. Il a suffit de quelques heures à l’un de ses salariés pour améliorer le mouvement des cylindres des machines et faire cesser les nombreux incidents… Une trouvaille qui avait échappé aux services de maintenance souvent très formatés sur leurs méthodes
  • Chez Accor, sur 20.000 idées proposées, un peu plus de 7.000 sont acceptées et mises en œuvre chaque année. La plus probante : un employé propose d’éteindre les télévisions dès la libération des chambres. Economie : 1M€ par an.

Ainsi, en sollicitant le plus grand nombre, l’entreprise augmente le nombre des idées et ainsi maximise les chances de trouver des propositions en rupture qui permettent des gains importants. En restant proche du terrain, les idées ne sont pas théoriques mais exécutables et déployables rapidement. En valorisant le maximum d’idées mises en œuvre et leur valeur ajoutée, l’organisation encourage de plus en plus de personnes à rejoindre la dynamique d’innovation.

L’innovation participative : du management encore et encore

Beaucoup de sociétés pensent qu’il suffit de mettre des comités innovation, un groupe d’experts externes ou des « carottes » en place pour que l’innovation s’active. Mais elles oublient les fondamentaux : l’ innovation participative nécessite de mettre en œuvre des standards de management qui désinhibent les acteurs (la peur de l’erreur, de l’échec), catalysent la dynamique d’innovation à tous les niveaux et encouragent la créativité commune, la libération de l’énergie collective.

Ces postures managériales doivent être ancrées dans quatre piliers que nous allons explorer ensemble afin que vous puissiez dire : « ah ça je l’ai… ou pas »

Faire confiance… le premier pas le plus difficile et quasiment inexistant en entreprise

Innover c’est prendre le risque de proposer des solutions qui ne marchent pas du premier coup, c’est explorer des pistes qui peuvent être sans issue. Il y a donc une mise en danger personnelle et collective qui ne peut se faire que dans un climat de confiance : je serai soutenu par ma hiérarchie et encouragé à recommencer, je ne serai pas remis en cause personnellement, mon culot, mon envie d’essayer et de faire bouger les choses sera récompensée autant que mes résultats.

Pour créer ce climat de confiance, le manager doit développer plusieurs réflexes/rituels de management :

  • Ritualiser un feedback constructif et crédible vers ceux qui entreprennent pour soutenir l’effort d’innovation,
  • Encourager les acteurs à partager leurs doutes avec leurs collègues ou avec des personnes extérieures ; dévoiler sa propre vulnérabilité devant d’autres personnes, c’est l’occasion d’enrichir ses travaux, d’explorer de nouvelles voies prometteuses,…
  • Positiver auprès de l’équipe toute initiative, même infructueuse ; le plus important est de tenter de faire bouger les choses… à défaut de produire une innovation, ça rend le terrain plus fertile !

Encourager la collaboration… facile à dire, mais la mise en action réelle est rare

Michel Serres rappelait dans une de ses récentes chroniques : « … dans l’histoire de l’humanité la collaboration a été plus productive de progrès que la compétition… » [3].

L’ère de l’inventeur solitaire est révolue, si tant est qu’elle ait jamais existé. La capacité des équipes à collaborer en mettant en commun des compétences et des points de vue différents, à échanger sans fuir les conflits, permet de sortir des sentiers battus, de parcourir les chemins inexplorés, de remettre en cause l’existant.

La dynamique collective est beaucoup plus puissante et pérenne que la performance individuelle.

Encourager la formation de communautés de pratiques c’est bien. Encourager des échanges entre personnes d’horizons différents, c’est nécessaire pour trouver des solutions contre-intuitives.

Cette collaboration est favorisée par certaines postures managériales :

  • Apprendre aux membres de l’équipe à travailler en groupe avec des techniques de remise en question des acquis : nombreuses sont encore les soit disant équipes à n’être en fait qu’un regroupement de personnes dans un espace commun (physique ou virtuel) mais sans échange pour s’entraider, se challenger, s’émuler…
  • Apprendre à aborder un problème et accélérer sa résolution en équipe pluri-disciplinaire, combinant expertise et expérience opérationnelle, pour trouver des solutions « innovantes »,
  • Faire éclore un conflit lorsqu’il est évident pour éviter les consensus mous qui entravent l’innovation.

Soutenir l’engagement… malgré la demande de résultat court-termiste des actionnaires

Pour aboutir, le processus d’innovation suit des cycles plus ou moins longs. Le manager doit s’affranchir de l’effet « résultat annuel » qui prévaut dans les opérations pour donner une chance aux nouvelles solutions de germer et de grandir… Ici, seuls les grands patrons visionnaires se permettent une telle échelle de temps.

Les innovations ne jaillissent généralement pas prêtes à l’emploi. Des actions complémentaires sont indispensables à la validation de l’idée, à son déploiement effectif sur le terrain et à son bon usage par les personnes censées en bénéficier.

L’engagement de chacun des membres de l’équipe permet de garantir que les actions seront menées, que les études aboutiront.

Le manager doit donc à la fois :

  • Créer la diversité et favoriser les prises de risques dans la durée,
  • Orchestrer la sélection des innovations pour passer de l’idée à l’action alors que la contention des moyens est de pus en plus forte,
  • Engager chaque membre de l’équipe (donner un rôle) dans le déploiement d’une innovation qui n’est pas forcément la sienne, voire avec laquelle il est en désaccord.

Responsabiliser les acteurs… dans le sens « leur donner la responsabilité de réussir »

« La responsabilité est le prix à payer du succès » (Winston Churchill).

L’innovation participative ne consiste pas seulement à partager des idées. Sa puissance tient aussi dans la capacité des acteurs à réguler en permanence leur mode de fonctionnement, à se challenger sur leur valeur ajoutée respective, à s’alerter sur des postures contre-productives et bien sûr à s’entraider.

Le manager a encore un rôle central dans la responsabilisation des équipes :

  • Encourager chacun à confronter ses pistes et ses solutions avec les autres pour les simplifier, les combiner avec d’autres idées en cours d’investigation,…
  • Développer le coaching et le compagnonnage par les membres de l’équipe qui ont réussi… et aussi ceux qui ont échoué (on apprend plus de ses erreurs !),
  • Systématiser la capitalisation des bonnes pratiques développées tout au long du cycle d’innovation (nouvelles techniques de collaboration en réseau, de créativité,…) pour faire bénéficier le plus grand nombre des petits pas intelligents de chacun..

En guise de conclusion

Pourquoi les entreprises échouent majoritairement à mettre en place cette approche qui semble connue de tous et finalement peu innovante ? Ma réponse est simple : passez dans les entreprises de votre entourage et cherchez des traces des fondamentaux : « Confiance et bienveillance», « Collaboration réelle, outillée et transverse», « engagement des équipes », « responsabilisation entre membre d’équipes », « droit à l’erreur ensemble », « long terme plutôt que sur un rythme annuel »… en trouvez-vous ? Sans pillier, pas d’innovation. Ou alors par à-coups  limités dans le temps.

Que l’on soit convaincu ou pas, les risques pris à engager les managers sur cette voie et à leur donner les outils de management adaptés sont pourtant faibles.

Au pire, aucune idée ne ressortira mais les équipes comprendront mieux leur travail, y prendront du plaisir ensemble et seront, de fait, plus performantes.

Alors … souvenons-nous de cette phrase de La Fontaine à son protecteur : « Et si de t’agréer je n’emporte le prix, j’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris » ![4]

Peut-être est là la clé du succès ? Oser croire dans la force du management terrain et manager autrement.

 


Publié sur le journal du net et sur le cercle des Echos

[1] Source http://www.innovacteurs.asso.fr

[2] Source « Revue de la qualité de vie au travail » – n°303

[3] Chronique « Le sens de l’info » – France Info le 13 octobre 2013

[4] La Fontaine, « Fables »

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